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Catégorie(s) Les temps changent

« Votre application e-santé signale une anomalie »

L’intrusion exponentielle de la technologie dans nos quotidiens soulève aujourd’hui des enjeux majeurs, en particulier dans le domaine de la santé. L’adoption de nouveaux outils, l’autonomisation des patients et leur relation aux soignants sont autant de points de vigilance dans les années à venir. Cette fiction propose un futur où l’hyper-connexion se met au service de la santé et de l’humain. 

Dimanche 6 octobre 2030, 8h45.
Comme tous les matins, tandis que ses volets connectés laissent entrevoir peu à peu la lumière du jour, Rose attrape son smartphone, dans un étirement, curieuse de voir ce que la nuit a bien pu produire de nouveautés. C’est son application e-santé qui attire son attention la première. « Vous utilisez l’application depuis 10 ans, merci de votre confiance. Pour voir votre bilan, swipez ! »

En allumant la machine à café, Rose déroule la dernière décennie sous ses yeux. Ses débuts sportifs, les nombreux régimes, l’arrêt de la cigarette, ses 2 grossesses… Assis au bar de la cuisine, son mari sourit : « C’est fou comme on s’habitue à tout hein ? Tu te souviens avant le COVID comme on était réticent à toutes ces applications ? »

Bien sûr, Rose se souvient. Mais la petite bouille qui vient d’entrer dans la pièce, elle, n’a pas connu cette période historique : « Maman, c’est quoi des covid? J’en veux !! »

Rose aurait pu raconter à sa fille l’inquiétude planétaire, le pangolin tristement célèbre, les allocutions présidentielles qui ponctuaient les semaines, la fermeture des restaurants, le couvre-feu… Elle aurait pu lui parler des gens masqués, des gestes barrières ou des files interminables devant les laboratoires. Mais elle finirait par apprendre tout cela bien assez tôt dans les livres d’histoire.

« Le COVID ma chérie, c’est un méchant virus qu’il y a eu dans le monde quand j’ai connu ton père. On a dû rester au chaud à la maison pour se protéger, et ça a complètement changé nos vies ! D’ailleurs, sans ça, tu ne serais pas là ! »

ENTRE LE 1ER MARS ET LE 29 DÉCEMBRE 2020, LE COVID A PROVOQUÉ 261 123 HOSPITALISATIONS ET TUÉ 64 078 PERSONNES
santepubliquefrance.fr

L’avènement du bien-être connecté

Oui, Rose se souvient bien de l’année de ses 32 ans… les semaines d’enfermement, la flemme, la culpabilité, l’absence des proches, les journées interminables et tout ce temps disponible qu’il fallait rentabiliser coûte que coûte. 

Hyper-connectée et quantifiée, Rose s’observe, s’analyse, se compare, cherchant sans relâche à être la meilleure version d’elle-même. Lentement, elle s’engouffre dans une optimisation permanente de son quotidien. Le sentiment de contrôle laisse finalement place à l’anxiété, l’autonomie à l’obsession.C’est pendant ce premier confinement que, sceptique, elle avait installé son application e-santé. Soucieuse de faire de cette période un nouveau départ, elle avait commencé par surveiller son alimentation et lancer des défis sportifs à ses amis. Se prenant au jeu, et pour ne laisser aucune place à l’ennui, elle avait multiplié les challenges au fil des mois : arrêt de la cigarette, régimes, hydratation, tout y passait. Puis les objets connectés sont arrivés peu à peu dans son quotidien. Montre connectée, balance intelligente, capteurs de sommeil… Aux commandes de tout cet attirail : son smartphone, nouvel allié santé et coach de vie, aujourd’hui indispensable à son équilibre.

Selon la CNIL, le « Quantified self »  ou « mesure de soi » est un ensemble de nouvelles pratiques qui consistent à analyser son activité physique ou son mode de vie : poids, tension, calories consommées, nombre de pas dans la journée, rythme cardiaque, etc.

Elle sait qu’en parler à son médecin ne sert à rien pour le moment ; ces objets ne sont pas encore réglementés et le personnel médical est mal formé à leur utilisation, voire totalement hermétique à l’idée de cette intrusion dans leur champ de compétences. 

« Heureusement qu’on a fini par s’installer ensemble cette année-là, je devenais folle, seule avec tous ces nouveaux trucs ! »
Rapidement, Rose tombe enceinte. Les rendez-vous médicaux qui ne nécessitent pas d’auscultation se font à distance pour ne prendre aucun risque. Si les premières téléconsultations sont un peu maladroites, de nouveaux réflexes s’installent petit à petit dans la communication avec son médecin. La répartition de la parole est plus fluide, les questions plus ciblées. Rose apprend à mieux exprimer ses symptômes, et son médecin à mieux les écouter. 

« Finalement, en France, la télémédecine est vite rentrée dans nos habitudes, tu ne trouves pas ? J’ai presque du mal à me souvenir comment on faisait sans, tellement ça me semble normal aujourd’hui ! »

Et pour cause, en 2020, tandis que la pandémie bat son plein et que les cabinets médicaux sont désertés, la télémédecine — déjà au cœur des projets gouvernementaux depuis 2009 avec la loi HPST — explose avec plus de 4,5 millions de téléconsultations rien que sur le mois d’avril 2020. Dans le contexte d’urgence sanitaire instauré par la loi du 23 mars 2020, toutes les téléconsultations sont désormais prises en charge à 100%, accélérant ainsi considérablement leur adoption par la population comme par les soignants.

Surveillance et prévention

En sortant de la douche, Rose enfile son SmartBra, un soutien-gorge connecté fonctionnant sur le même principe que l’échographie, que son médecin lui a vivement conseillé au vu de ses antécédents familiaux. Lorsque l’Assurance Maladie a annoncé son remboursement partiel, elle a sauté sur l’occasion pour s’en procurer un. Il lui a fallu du temps pour trouver le juste équilibre dans son approche de la e-santé, mais Rose est heureuse d’avoir vu les mentalités évoluer vers plus de prévention grâce à la technologie. 

Tandis que la petite famille s’installe à table, un « bip bip » résonne avec insistance dans la cuisine : « C’est ma montre connectée, dit Rose ; j’y vais, désolée ! »
Lorsqu’elle réapparaît, Rose est décomposée, le regard vide. Son mari l’emmène s’isoler dans la pièce d’à côté et invite les enfants à commencer le repas sans eux.
« Mon SmartBra a détecté une anomalie… »

Si Rose a si peur, c’est qu’elle a vécu de près chaque étape du cancer de sa mère 14 ans plus tôt. L’annonce brutale, les consultations infantilisantes et dénuées d’humanité, les hôpitaux qui débordent et les examens douloureux faits sans explications… Son mari la rassure : « La santé a beaucoup évolué, chérie. Les médecins sont mieux formés, et la technologie fait des miracles. D’ailleurs, tu sais bien que le but de ce soutien-gorge est d’éviter le pire. »

Des informations centralisées

Plus tard dans l’après-midi, Rose et son mari s’installent pour faire le point. Depuis son Dossier Médical Partagé (DMP), elle retrouve l’analyse du SmartBra ainsi qu’un chatbot permettant d’évaluer la situation. Après avoir répondu à quelques questions, l’algorithme lui propose de fixer un rendez-vous en visio dès le lendemain avec son médecin traitant. 

Il y a quelques années, Rose aurait probablement passé la nuit sur Doctissimo, se gavant d’informations plus anxiogènes les unes que les autres. Mais elle a vu l’impact de ces forums au fil des années et sait qu’elle peut maintenant, si elle le souhaite, accéder à une documentation approuvée par le Ministère de la Santé, dans son espace en ligne.

Lorsque le DMP a été lancé en 2018, très peu de médecins l’utilisaient et la population n’y avait pas toujours accès… Depuis, avec le déploiement des réseaux de communications sur tout le territoire, l’arrivée de la 5G puis de la 6G, et la démocratisation des nouvelles technologies, une grande majorité des français profite maintenant de cet outil. Des accompagnements gratuits sont tout de même proposés aux personnes encore victimes de la fracture numérique, qu’elle soit générationnelle, territoriale ou socio-économique.

Le dossier médical partagé (DMP), anciennement dossier médical personnel, est un carnet de santé informatisé et sécurisé, accessible sur internet.

Le lendemain, Rose attend inquiète devant sa caméra, lorsque son médecin, confus, l’informe via le chat d’un retard de quelques minutes. Enfin, la voix rassurante du professionnel sort la jeune femme de ses pensées : « Bonjour Rose. J’ai vu en ligne la raison de notre rendez-vous, nous allons prendre le temps d’en discuter. Mais avant tout, comment allez-vous moralement depuis cette alerte ? »
Rose s’effondre. Elle aurait tant aimé que quelqu’un pose cette question à sa mère, ne serait-ce qu’une seule fois, pendant sa maladie. Quel long chemin parcouru pour parvenir à remettre au cœur du système médical humilité, écoute et empathie !

Le médecin rassure Rose, il est encore tôt pour tirer la moindre conclusion. Il lui explique en toute transparence les différents scénarios possibles, les étapes à venir et s’assure de répondre à toutes ses questions. Directement depuis la plateforme de téléconsultation, il met à jour son DMP et programme avec elle des examens à effectuer la semaine suivante. A la fin de la consultation, Rose retrouve dans son espace en ligne un compte-rendu généré automatiquement, ainsi qu’un lexique des termes médicaux utilisés pendant le rendez-vous, deux éléments essentiels lui permettant de retrouver à posteriori toute information qu’elle aurait pu oublier ou ne pas bien comprendre. 

Un diagnostic rapide et précis

Lundi 14 octobre 2030, 10h. 
Rose a déposé ses enfants à l’école la boule au ventre ce matin. Elle sait que malgré le calme de son médecin, malgré l’optimisme de son mari et malgré tous ses efforts de prévention, le risque de découvrir un crabe dans sa poitrine est bien réel. 

Depuis la scolarisation de sa grande, la famille de Rose a emménagé à la campagne pour avoir plus d’espace. C’est donc dans un Hôpital de Proximité, une sorte de centre médicalisé comme il en a poussé des centaines depuis le programme Ma santé 2022, qu’elle se rend pour effectuer ses examens. A l’accueil, pas d’attente, mais une borne d’enregistrement. Quelques instants plus tard, un jeune homme vient la chercher : « Souhaitez-vous que votre mari soit à vos côtés pendant l’examen ? ». 
Rose veut paraître forte et choisit d’entrer seule. 

Annoncée en septembre 2018 par le président de la république, la stratégie Ma santé 2022 propose une vision d’ensemble et des réponses globales aux défis auxquels est confronté le système de santé français. Tout d’abord, des inégalités dans l’accès aux soins, avec de plus en plus de Français qui connaissent des difficultés à accéder à un médecin dans la journée et sont parfois contraints de se rendre aux urgences par défaut. Ensuite, des aspirations chez les professionnels à mieux coopérer entre eux, à disposer de davantage de temps pour soigner leurs patients et à être formés autrement.

Si elle se souvient de sa première mammographie avec dégoût, c’est un tout autre type d’imagerie qui l’attend aujourd’hui. Docteure ABELLI[1], la radiologue, prend d’abord quelques instants pour faire connaissance avec Rose et la renseigne sur le premier examen :
« Il s’agit de la même technologie que votre soutien-gorge connecté, des ultrasons, mais combinés à un laser ici. Cela nous permet de reconstituer en 3D les vaisseaux sanguins de votre poitrine. Ce n’est pas censé être douloureux, mais bien sûr, vous m’arrêtez au moindre problème ». 

Les résultats sont quasi instantanés et d’une précision sans précédent. Depuis quelques années, ce sont des Intelligences Artificielles (IA) qui  analysent l’imagerie médicale, permettant ainsi de détecter ce que l’œil humain ne peut pas voir.
Avec le consentement de Rose, les données de ses examens serviront d’ailleurs, elles aussi, à « nourrir » cette IA.

Une hospitalisation… robotisée !

Son médecin traitant a tout de suite été informé et pris la relève après l’annonce du cancer. Son mari, quant à lui, a été mis en relation avec des associations lui permettant d’appréhender au mieux son rôle d’aidant. Chirurgien, date d’intervention, hospitalisation, psychologue, tout a été fait pour soulager Rose, abattue par la nouvelle.

En arrivant à l’hôpital ce jour-là, on colle au poignet de Rose un pansement connecté capable d’analyser ses constantes par intermittence et de les enregistrer automatiquement dans son dossier médical.
Un infirmier l’installe dans sa chambre et lui présente le robot qui l’assistera durant son séjour : « C’est Moxi qui vous apportera à boire, à manger, et fera votre lit. Et comme ça nous libère du temps, on pourra venir vous embêter plus souvent ! Ah oui, et vous pouvez régler votre lit, les volets, la lumière ou la température de la chambre depuis la tablette qui est ici ; et bien sûr me sonner en cas de besoin ! »

En complément d’une anesthésie locale, Rose expérimente pour la première fois l’hypnose en réalité virtuelle qui permet de diminuer les doses médicamenteuses et donc les effets secondaires.

Dans le bloc aseptisé, pas de médecins mais des robots pilotés. Derrière la vitre, dans son cockpit, la spécialiste s’active. Chirurgienne depuis 15 ans, elle a dû compléter sa formation médicale par un apprentissage en ingénierie robotique afin de s’adapter aux nouvelles technologies. Grâce à la Chirurgie Assistée par Ordinateur (CAO), elle navigue dans une reconstitution 3D du sein malade comme dans un jeu vidéo.

Le réveil de Rose se fait en douceur ; un infirmier près d’elle lui tient la main et la rassure sur le bon déroulement de l’intervention. Une fois remontée dans sa chambre, Rose retrouve son mari, impatient et rassuré, lorsque la chirurgienne frappe à la porte : « Je viens voir comment vous vous sentez, seriez-vous d’accord pour qu’un ou 2 étudiants entrent avec moi ? »
Puis vient l’explication des événements qui vont suivre. Si l’intervention a fonctionné, la route est encore longue pour Rose. 

Traitement et suivi à domicile

Afin d’éviter une rechute, un traitement sur-mesure par thérapie génique est mis en place. Cette petite révolution médicale permet de cibler et détruire les cellules cancéreuses qui auraient pu échapper à la chirurgie.

Dans l’esprit du « home-spital » développé ces dernières années, Rose rentre très vite dans le confort de sa maison, suivie par une Infirmière en pratique avancée (IPA) qui surveille sa cicatrice et lui administre son traitement.

Le quotidien de Rose n’est plus le même bien sûr. D’abord la convalescence, les semaines interminables sans pouvoir porter ses enfants, la solitude lorsque la maison se vidait chaque matin, l’ennui de ne pas pouvoir bouger et les disputes avec son mari, dépassé par la situation. Puis le suivi médical permanent, la crainte d’une rechute, le traitement qui la fatiguait beaucoup.

Mais une routine a fini par s’installer, un jour après l’autre. Rose a appris à mieux se surveiller, elle n’hésite pas à contacter VikSein, un compagnon virtuel qui la renseigne sur son traitement, et elle est en contact fréquent avec son médecin, qui la surveille de loin. Elle et son mari ont rejoint un groupe de patients-experts dans lequel ils trouvent tous deux réconfort et bons conseils, qu’ils partageront à leur tour le moment venu.

Et après ? 

Samedi 19 avril 2036, 8h45.
Comme tous les matins, tandis que ses volets connectés laissent entrevoir peu à peu la lumière du jour, Rose attrape son smartphone dans un étirement, curieuse de voir ce que la nuit a bien pu produire de nouveautés. Sur son écran, l’application e-santé l’informe : « Rien à signaler, vous êtes en pleine forme aujourd’hui ! ».
Aujourd’hui, cela fait exactement cinq ans que son médecin lui a annoncé sa rémission complète. Dans un soupir de soulagement, elle sent les larmes monter. “Je suis guérie” se murmure-t-elle.

Elle repense à ces cinq dernières années. Aux moments difficiles qui malgré tout ne ressemblaient en rien à ceux qu’avait vécu sa mère auparavant. Et elle se prend à imaginer. A quoi ressemblera une telle épreuve dans 10 ans ? Son expérience sera-t-elle de l’histoire ancienne ? Des machines seront-elles capables de prévenir, diagnostiquer et guérir ?

Un bruit de vaisselle mêlé au rire de ses enfants lui parvient de la cuisine, dessinant un sourire sur son visage.
Et eux ? A quoi ressemblera leur monde ? Tous ces objets connectés qu’elle utilise seront dépassés, et peut-être même directement implantés dans le corps. Ils imprimeront des organes qu’ils remplaceront à tour de bras pour augmenter leurs performances et leur longévité. D’ailleurs, comment vieilliront-ils ? Vieillir aura-t-il toujours la même signification ?

Une odeur de café fraîchement moulu sort Rose de ses pensées. Pourvu que certaines choses ne changent jamais.
Rose se lève, pressée de rejoindre sa famille. En descendant l’escalier, une dernière idée lui traverse l’esprit : Peut-être ses enfants vivront-ils pour toujours ?

 

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