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rédigé par Charles Quillard-Smaer

Étudiant en master Entrepreneuriat de Projets Numériques / Com multimédia chez @Orange. Passionné de jeux vidéo et collectionneur. #Numérique #JV

Dématérialisation des jeux vidéo : Battle Royal entre acteurs du marché

physique VS démat

Les ventes dématérialisées de jeux vidéo augmentent drastiquement. Aux alentours de 4% sur la génération précédente, elles sont aujourd’hui estimées à 25% des ventes de jeux. Un bouleversement aussi puissant du marché, force tous les acteurs à s’organiser pour en profiter ou au contraire pour s’en protéger. Micromania vend des mugs et des POP, EA arnaque les joueurs avec des lootbox et les indé migrent tous sur Switch. Une bataille digne d’une excellente partie de Fortnite a déjà commencé et à la fin, il n’en restera (peut-être) qu’un.

Console ultra-connectée : Microsoft avait-il raison ?

E3 2013, Don Mattrick, alors directeur de la marque Xbox révèle une console de nouvelle génération : la Xbox One. Il annonce alors une connexion internet obligatoire, pas de lecture des jeux d’occasion, pas de prêt de jeu… Du côté des joueurs, c’est la levée de boucliers. Tout le monde crie au scandale et Microsoft décide finalement de faire machine arrière. Mais plus de cinq après et alors que les prochaines consoles commencent sérieusement à faire parler d’elles, le marché ne ressemble-t-il pas à ce que Microsoft avait anticipé en 2013 ?

Cette génération de console a marqué l’avènement des Game-as-a-Service (jeux service), principe qui consiste à faire vivre et alimenter en contenu (gratuit ou payant) un même jeu sur plusieurs années. Cette pratique a explosé alors même qu’elle nécessite obligatoirement une connexion internet quasi permanente pour télécharger les mises à jour et le contenu nouveau.

 

Mais à quoi il sert mon CD ?

Paradoxalement aux critiques des joueurs envers Xbox en 2013, tout jeu dont on insère le CD dans sa console aujourd’hui, s’installe entièrement sur le disque dur. De plus, dans la quasi totalité des cas, une très importante mise à jour est nécessaire au lancement, dès le jour de sa sortie. On apprenait même récemment que la fin du très attendu Kingdom Hearts 3 n’est pas présente sur le disque et nécessitera un téléchargement plus tard.

 

Toutes ces nouvelles pratiques concernent et impactent directement tous les acteurs du marché. Nous allons voir qu’entre nouvelles opportunités et menaces, les rapports de force sont bouleversés.

Micromania va disparaître ?

Les acteurs les plus impactés négativement par ce changement sont les revendeurs de jeux physiques comme Micromania ou Gamestop. Ils devaient déjà faire face à une très forte concurrence des géants de la vente en ligne (Amazon, Fnac) mais aussi à la grande distribution qui se sert des JV comme produit d’appel et donc pratiquent des tarifs attractifs. Aujourd’hui, ils doivent en plus affronter les ventes en version numérique qui ne leur apportent aucun bénéfice. À cette problématique, ils répondent par une diversification de leurs activités et cherchent à proposer des produits sur lesquels ils margent beaucoup plus. Exemple avec Micromania, la marque de boutique jeux vidéo la plus connue en France est, depuis bientôt deux ans, renommée en tant que Micromania Zing. Dans leur boutique, une bonne partie de l’espace, avant exclusivement consacré aux jeux, est maintenant occupée par des mugs, peluches, t-shirt et autres figurines : des produits de pop culture qui “offrent de meilleures marges” avoue le Directeur Général de l’enseigne.

 

Néanmoins, en poussant l’analyse, on se rend compte de la nécessité pour tous les jeux d’être quand même présents dans ces boutiques. En effet, en France d’après le SELL, 68% des jeux vidéo sont achetés par les parents pour leurs enfants et ils ont, pour la grande majorité, encore comme réflexe de se rendre en boutique pour faire leur choix. De fait, il est essentiel pour ces jeux, même quand ils sont gratuits et disponibles uniquement en version numérique, d’être présents dans ces boutiques, sous la forme de bundle avec console, de produits dérivés, etc. Exemple flagrant avec le jeu phénomène Fortnite qui a envahi les Micromania et autres durant la période de Noël alors même qu’il est gratuit et disponible uniquement en ligne.

comportement d'achat JV en France

source : Étude du SELL – L’essentiel du jeu vidéo 2018

 

Supply chain dématérialisée : nouvelles opportunités ?

Les ventes en versions dématérialisées impliquent d’importants changements pour les éditeurs de jeux qui y voient bon nombre d’opportunités. « La dématérialisation entraîne une suppression des coûts de fabrication, de logistique et des intermédiaires qui représentent un coût non négligeable dans le produit final (entre 3 et 6 % juste pour l’aspect logistique). En passant par Steam [plateforme de vente de jeux-vidéo sur PC], on estime qu’un éditeur qui vend un jeu en dématérialisé touche environ 70% des revenus engendrés, contre 30% dans les circuits de distribution classiques. » (Afjv)

 

Une aubaine pour les jeux indépendants qui reprennent maintenant leurs lettres de noblesse après avoir été plus ou moins laissés de côté au début des années 2000. Il n’a jamais été aussi simple de distribuer un jeu. Très rapidement les plateformes comme Steam ont été envahies par de nombreuses productions indépendantes. Si bien qu’aujourd’hui des contestations sont faites, car il devient quasiment impossible pour un jeu inconnu d’obtenir un peu de visibilité dans cet océan de jeux.

 

Un fait très intéressant doit néanmoins être noté. Dans ce marché des jeux indépendants, ce sont les productions avec la plus grande renommée qui réussissent à se faire éditer en version physique. Des sociétés comme LimitedRun, Super Rare Games et d’autres en ont fait leur spécialité. Un graal qui est convoité et qui représente en quelque sorte l’aboutissement du succès d’un jeu indépendant. Souvent en édition limitée, elles sont extrêmement convoitées, ce qui conforte dans l’idée que les versions physiques ont encore beaucoup d’intérêt pour certains et sont loin d’être mortes.

 

“Et moi, et moi, et moi… J’y pense et puis j’oublie”
Et le joueur dans tout ça ?

Pour le joueur, ce sont de nombreux aspects pratiques, comme ne pas avoir à sortir en magasin pour acheter un jeu, pas de frais de livraison, pas besoin de changer de CD pour changer de jeu et pas d’encombrement physique. Néanmoins, les jeux pèsent de plus en plus lourd et le déploiement de la fibre sur le territoire est encore un frein au développement de ce marché. Également, c’est la fin du marché de l’occasion avec ces méthodes, car il est impossible de revendre un jeu en version numérique ou même de le prêter à un ami. Sans parler des problèmes concernant la conservation et l’archivage du patrimoine vidéoludique.

format des jeux

source : Étude du SELL – L’essentiel du jeu vidéo 2018

 

Cloud Gaming, abonnements, le marché est-il mature ?

Cette génération de console a vu apparaître pas mal de nouveautés : consoles de milieu de génération pour combler un peu le retard sur le PC, lancement d’abonnements comme le PS Now ou Xbox Game Pass et des premiers essais de Cloud Gaming, avec Shadow ou même Google.

Les nouvelles offres d’abonnement “type Netflix” semblent être plutôt une réussite puisqu’on apprenait récemment de l’institut de recherches SuperData que les cinq principaux services de ce type ont généré 273 millions de dollars sur le troisième trimestre 2018.

 

format des jeux

source : Institut de recherches SuperData

 

Assez logiquement, c’est le service de la Playstation qui rapporte le plus, étant donné le parc de console bien plus conséquent. Néanmoins, Xbox semble clairement être l’acteur qui souhaite devenir « le Netflix du jeu vidéo » avant les autres. Mais les joueurs sont-ils vraiment prêts ? Les rumeurs que Microsoft lancerait une One sans lecteur de support physique avec une offre sur l’abonnement Game Pass pour le début 2019 sont très intéressantes car elles donnent vraiment le sentiment qu’Xbox teste le marché avant le lancement de la prochaine génération de consoles. Ces derniers évoquaient récemment le pouvoir attractif qu’a son Game Pass.

 

N’oublions pas que cette génération a vu apparaître les premiers essais sérieux de cloud gaming. Le principe repose sur une console connectée à internet qui va bénéficier de la puissance de calcul d’un ordinateur distant pour l’assister à faire tourner un jeu. Malgré tout, c’est plus mitigé du côté des premiers essais comme Shadow qui restent principalement réservés aux possesseurs de connexion fibrée et qui ont pu rencontrer certains problèmes techniques. Mais le plus intéressant et surprenant c’est que Nintendo a aussi fait des essais. Alors que le constructeur est réputé pour ne plus faire la course à la puissance, la Switch accueille Resident Evil 7 en cloud gaming au Japon et des projets sont en cours pour faire tourner Assassin’s Creed Odyssey.

 

Epic Games peut-il faire trembler Steam ?

Le segment du marché qui bouge le plus en ce moment est l’écosystème PC. Depuis de très nombreuses années, les joueurs consomment les jeux quasi-exclusivement en dématérialisé. L’acteur incontournable étant Steam et ses 80% de parts du marché PC. Souvent critiqué pour sa politique de modération, son algorithme de mise en avant des jeux ou encore sur le partage de la valeur, personne n’a pourtant réussi à faire trembler ce mastodonte. Mais cela va peut-être changer.

Epic Games, le studio derrière Fortnite a lancé tout récemment son propre store de jeu sur PC : l’Epic Games Store. En revendiquant plus de 200 000 joueurs journaliers sur Fortnite, le studio a la possibilité, en rendant un passage sur son luncher obligatoire pour jouer, de toucher un public colossal. De plus, Epic Games est également l’auteur du moteur de jeu Unreal Engine, sur lequel tourne un grand nombre de jeux et propose de reverser aux développeurs 88% des recettes générées par leur jeu sur l’Epic Games Store si ce dernier est fait avec leur moteur, contre un ratio de 70% développeurs et 30% pour Steam sur le store concurrent. Alors, véritable tsunami ou goutte d’eau dans l’océan ? L’avenir proche nous le dira.

 

Xbox avait-il raison en 2013 ? Le support physique va-t-il disparaître ? Micromania est-il condamné à vendre des peluches Fortnite ? Il est encore tôt pour le dire. Il est évident que le marché se transforme, que les habitudes des joueurs changent. Et je suis particulièrement impatient de découvrir à quoi ressembleront la PS5 et la prochaine Xbox, qui devraient faire beaucoup parler d’elles en 2019.

 

Pour aller plus loin :

 

Quelques chiffres pour mieux comprendre

 

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