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Fiche de lecture : L’enfer numérique – Voyage au bout d’un like

L'enfer numérique - Voyage au bout d'un like - Guillaume Pitron
L'enfer numérique - Voyage au bout d'un like - Guillaume Pitron

L'enfer numérique - Voyage au bout d'un like

Guillaume PITRON

Les liens qui libèrent

15 sept 2021

Sciences humaines / communication et médias

réseaux sociaux; internet; technologie ; numérique

Sujet

L’essai L’enfer numérique – Voyage au bout d’un Like entend détruire le mythe de la « dématérialisation » de nos modes de vie connectés et jeter la lumière sur la pollution occasionnée par les technologies numériques. Couronnée par le prix du livre Environnement Veolia 2022, cette enquête édifiante révèle l’anatomie d’une technologie qui n’a de virtuel que le nom et qui s’affirme déjà comme l’un des défis environnementaux majeurs du XXIe siècle. Actuellement, elle est publiée (ou en cours de traduction) dans une dizaine de pays.

Résumé

L’enquête de Pitron est structurée en dix chapitres, chacun éclairant une facette spécifique de « l’enfer numérique ». L’ouvrage s’oppose à une vision simpliste et souvent idéalisée du numérique, présentant ce dernier comme immatériel et sans conséquence sur notre environnement. Il démonte cette croyance en révélant comment nos activités en ligne, comme un « like », un e-mail, une vidéo par exemple, s’appuient sur un réseau complexe d’infrastructures matérielles énergivores et très polluantes. La question fondamentale de cet étude est : Quels sont les coûts réels de notre dépendance au numérique ? Et pour répondre à cette question l’auteur traverse différents sujets, comme la géopolitique, l’économie et des aspects sociaux.

1. Numérique et écologie : Un lien fantasmé

Il débute le livre en démystifiant la notion de « dématérialisation ». Pitron argumente que le numérique, loin d’être immatériel, s’appuie sur une infrastructure physique massive comprenant des câbles sous-marins, des centres de données et des appareils électroniques. La production, l’usage et l’élimination de ces infrastructures engendrent un impact environnemental considérable. Il clarifie aussi son propos au sujet des villes intelligentes et son rapport au développement durable. Il cite l’exemple de Masdar City – la ville émiratie présentée comme un modèle d’écologie et d’innovation technologique. L’auteur souligne l’absurdité de se focaliser sur les solutions techniques comme alternative au problème environnemental, en révélant leurs coûts énergétiques cachés.

2. De la zénitude des smartphones

Ce chapitre nous plonge au cœur de la chaîne de production de nos téléphones portables, en se concentrant sur l’extraction et le raffinage du graphite. Pitron décrit les conditions de travail dans les mines chinoises, soulignant les impacts sociaux et environnementaux souvent ignorés qui se cachent derrière ces technologies que nous utilisons quotidiennement.

3. La matière noire de l'immatériel

L’auteur poursuit sa réflexion sur le côté matériel du numérique en s’intéressant aux ressources nécessaires à son fonctionnement. Pitron explore la complexité des systèmes électroniques et la façon dont un monde qui s’annonce comme dématérialisé ne fait que reposer sur une extraction de ressources de plus en plus intense. L’épuisement des ressources naturelles est également une préoccupation : la fabrication des appareils électroniques nécessite l’extraction massive de minerais, dont certains sont rares et difficiles à obtenir. De plus, il met en lumière la problématique des déchets électroniques, en précisant que les appareils ont une durée de vie limitée et que leur recyclage s’avère complexe et onéreux. 

4. Enquête sur le nuage

L’auteur nous fait voyager à travers le monde en s’intéressant à la géographie des infrastructures numériques, dévoilant la localisation des datacenters. À travers une description détaillée de la route qu’emprunte un simple like sur les réseaux sociaux, Pitron montre le maillage complexe des communications digitales, les câbles sous-marins, les antennes et les centres de données. 

5. Une fantastique gabegie d’électricité

L’auteur examine dans ce chapitre  les diverses sources de pollution numérique, notamment la consommation énergétique, car les datacenters et les réseaux de télécommunications – indispensables au fonctionnement de notre monde digital – engloutissent des quantités colossales d’électricité, majoritairement issue de combustibles fossiles. Il s’interroge au sujet des solutions mises en place pour optimiser les consommations et pour les approvisionner en énergie « verte », tout en relevant leurs limites.

6. Quand l'industrie numérique réécrit le futur

Ce chapitre décrypte la stratégie des grandes entreprises du numérique (les GAFAM notamment – géants du net : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) pour façonner notre perception de leur rôle dans la transition écologique. L’auteur examine comment ces entreprises, très puissantes financièrement, utilisent souvent des discours « verts » et responsables au sujet des énergies renouvelables et de la sobriété énergétique, mais en décalage par rapport à la réalité matérielle, beaucoup plus polluante. L’auteur montre comment elles cherchent à entretenir notre ignorance de leur empreinte écologique réelle. Souvent utilisés par ces groupes pour occulter ou minimiser les impacts environnementaux de leurs activités, ce narratif écologique, à leur avantage, fait parfois recours à des agences de communication et organismes (ONG) pour les aider dans cette stratégie.

7. L’Estonie, l’État qui fait le pari du tout-numérique

Ce chapitre analyse le cas particulier de l’Estonie, un pays présenté comme un modèle de transition numérique. Pitron met en avant les avantages et les inconvénients du tout-digital, questionnant l’idée d’un monde où les services administratifs seraient entièrement automatisés. Cette analyse nous permet de poser les bonnes questions quant aux choix de société opérés à travers le numérique.

8. Quand les robots pollueront davantage que les humains

Pitron s’intéresse à la place de plus en plus importante des algorithmes et de l’intelligence artificielle dans nos vies et notamment dans la finance. Il s’interroge sur l’impact environnemental de ces nouveaux acteurs et la façon dont leur croissance s’appuie sur des infrastructures toujours plus gourmandes en énergie. Il aborde également les émissions de gaz à effet de serre, soulignant que le numérique figure parmi les principaux contributeurs à leur augmentation mondiale.

9. Vingt mille tentacules sous les mers

Ce chapitre explore l’infrastructure physique souvent négligée qui permet la circulation des données à l’échelle mondiale : les câbles sous-marins. Pitron nous emmène dans un voyage au cœur de ces « autoroutes de la mer », révélant leur étendue colossale et la complexité de leur installation et de leur maintenance. Il décrit le travail des ingénieurs et des navires câbliers, tout en pointant les enjeux géopolitiques liés à leur déploiement. Il montre comment ces câbles, bien que dissimulés sous les océans, sont devenus des enjeux de pouvoir et de contrôle dans le monde numérique, et comment ce réseau qui nous semble immatériel, a en réalité une base concrète et palpable qu’il faut prendre en compte.

10. Géopolitique des infrastructures numériques

Ce dernier chapitre élargit la perspective en analysant comment les grandes puissances (notamment la Chine et les États-Unis) cherchent à dominer le monde du numérique. Il tire les conclusions géopolitiques de tout ce qui a été exposé précédemment dans le livre, en se concentrant sur la lutte des grandes puissances pour le contrôle de ces infrastructures et il trace un parallèle entre le pouvoir et la maîtrise de ces outils de communication, à l’image des grandes routes commerciales. Pitron y analyse les enjeux de pouvoir liés à la localisation des datacenters, à la maîtrise des routes des câbles sous-marins ou encore au déploiement des technologies de communications et de surveillance de masse, facilitées par la collecte de données personnelles liés aux mode de vie actuels. Le chapitre souligne aussi les risques liés à la dépendance technologique et à l’accélération du rythme de vie induite par le sentiment d’urgence généré par le numérique.

Conclusion

L’Enfer Numérique est un ouvrage important, qui lance un appel à une prise de conscience collective et à une modification de nos habitudes numériques. L’auteur nous met face à nos responsabilités et nous encourage à agir pour un numérique plus durable et respectueux de l’environnement.

Citation verbatim

« Notre avenir est une course entre la puissance croissante de notre technologie et la sagesse avec laquelle nous l’utiliserons. » 
– citation du célèbre physicien théoricien Stephen Hawking pour parler des volumineux déchets générées par la production des milliards de produits high-tech et le peu d’efforts consentis par les différents constructeurs.

« La ‘génération climat’ est d’abord constitué de jeunes consommateurs drogués aux outils numériques » 
– Pitron, en référence aux jeunes inspirés par Greta Thunberg, principaux acteurs du doublement de la consommation d’électricité du secteur numérique annoncé à l’horizon de 2025.

« Soyez le changement que vous désirez voir en ce monde. » 
– En citant cette célèbre phrase de Gandhi, Pitron invite le lecteur à prendre conscience de sa responsabilité et à adopter des pratiques numériques plus sobres et durables.

« Les technologies numériques donnent l’impression que nous sommes parfois plus proches du lointain mais plus loin des proches»
– En citant le philosophe Michel Serres.

 

Bio auteur (s)

Journaliste et documentariste, auteur d’ouvrages d’enquête sur les impacts écologiques, économiques et géopolitiques des nouvelles technologies, Guillaume Pitron est notamment l’auteur de deux essais, publiés dans une quinzaine de pays, consacrés aux ressources naturelles nécessaires aux nouvelles technologies : La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique (2018) et L’Enfer numérique. Voyage au bout d’un Like (2021). Il a également co-écrit la fiction dystopique Prométhium (2021), qui préfigure le monde intégralement « vert » de l’année 2043.

Il est invité à partager ses analyses dans des médias français et internationaux comme Le Figaro, BBC, El País et La Repubblica, ainsi qu’auprès de forums et institutions internationales comme Davos, FMI, Commission européenne et Unesco. Ses travaux ont été récompensés par une trentaine de prix français et étrangers, dont le prix Erik-Izraelewicz de l’enquête économique du journal Le Monde sur le déclin de la filière forestière française (2017) et le prix du livre d’économie (2018) pour La Guerre des métaux rares.

Des énergies vertes aux technologies numériques en passant par l’agriculture connectée et les frontières dites « intelligentes », Guillaume Pitron veut se positionner aux avant-postes des révolutions techniques en interrogeant les enjeux économiques, géopolitiques et environnementaux qu’elles charrient.

Il est diplômé d’un diplôme d’études approfondies (DEA) des universités de Paris et d’un master de droit à l’université de Georgetown (États-Unis).

Commentaires personnels

Le livre est intéressant et analyse en détail, riche en sources, différents aspects très importants du numérique. D’entre eux notre pollution digital personnelle et son impact globale. L’utilisation du digital à des fins pas forcement utiles parfois, mais qui exigent tout de même un énorme investissement et causent une pollution conséquente à la planète. 

La relation entre pouvoir et contrôle numérique des puissances financières et politiques sont aussi un des plus importants défis actuels et futures et sont très bien exprimés dans ce livre.

Le livre nous permet de comprendre à quel point les mots cloud et dématérialisation peuvent être trompeurs lorsqu’on parle de numérique. Une phrase du livre m’as fait beaucoup réfléchir à ce sujet : « Révéler l’anatomie d’une technologie qui, au nom d’un idéal quasi-mystique de dématérialisation, est en train de produire une modernité prodigieusement matérialiste ». 

Le paradoxe de la préoccupation et de la lutte pour le climat défendu par Greta Thunberg et ses followers et leurs habitudes digitales font aussi un point très intéressant à l’analyse de l’enfer numérique de Pitron et trace un parallèle entre cette génération très guidés par les réseaux sociaux et sa réel préoccupation et engagement vers la planète. 

Bien que Pitron s’appuie sur des sources solides, des chiffres clés et des témoignages importantes, l’ouvrage est assez pessimiste et il insiste beaucoup sur cette côté sombre de la numérisation, et ça fait peur ! Mais je trouve qu’il manque un peu d’exemples au sujet des points positifs du numérique.

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